RÉPUBLIQUE (DEUXIÈME)

RÉPUBLIQUE (DEUXIÈME)
RÉPUBLIQUE (DEUXIÈME)

La révolution de février 1848 a triomphé presque sans combattre de la monarchie de Juillet qui s’est effondrée sans se défendre. L’abdication de Louis-Philippe, le 24 février, a provoqué le ralliement de l’ensemble des catégories dirigeantes à la République. Cette situation (l’ambiguïté des sentiments de ces «républicains du lendemain») et le poids des souvenirs passés (une minorité voulant rééditer l’exemple de 1793 et de la Terreur, ce qui est au contraire un épouvantail pour la majorité) expliquent la confusion des premiers mois. Issue d’une révolution qui a introduit le suffrage universel et l’a utilisé de la façon la plus large, la deuxième République a substitué sans transition et sans préparation les passions et les sentiments populaires aux intérêts des catégories dirigeantes qui dominaient la vie politique avant 1848. Mais l’inachèvement d’une révolution, plus riche d’aspirations que de décisions et d’actions, amena un reflux contre-révolutionnaire d’autant plus fort qu’il s’appuyait sur une partie des classes populaires reprises en main par les notables, un moment évincés.

Le gouvernement provisoire

Dès l’abdication du roi et l’arrivée de manifestants à la Chambre des députés, l’insurrection devient révolution: dans la confusion, Ledru-Rollin, Lamartine, Dupont de l’Eure, qui étaient députés, repoussent l’éventualité d’une régence et annoncent l’établissement d’un gouvernement provisoire comprenant, outre leurs noms, ceux de François Arago et d’Adolphe Crémieux. Ce gouvernement provisoire va s’installer à l’Hôtel de Ville où il s’adjoint Armand Marrast (du journal Le National ), Garnier-Pagès, l’avocat Marie, Flocon, rédacteur de La Réforme , Louis Blanc et le mécanicien Albert, imposé par les insurgés. Sous la pression populaire, le gouvernement provisoire proclame la République, sous la réserve de sa ratification par le peuple. Tout en s’efforçant d’apaiser les insurgés, grâce à l’éloquence de Lamartine, le gouvernement provisoire doit prendre, en peu de jours, de nombreuses décisions: ouverture à tous les citoyens de 21 à 55 ans de la garde nationale, d’où est issue, dès le 25 février 1848, une garde nationale mobile; rejet du drapeau rouge; annonce, par un décret du 5 mars 1848, de l’élection au suffrage universel d’une Constituante, prévue initialement pour le 5 avril; garantie de la liberté de presse et de réunion; abolition de la peine de mort en matière politique. D’autres réformes ont une portée sociale: suppression de l’esclavage dans les colonies; proclamation du «droit au travail», dont la définition reste confuse; formation, décidée le 28 février, d’une commission comprenant des ouvriers et des patrons en vue d’organiser le travail, qui devra siéger au palais du Luxembourg; réduction, le 2 mars, de la durée de la journée de travail.

La révolution a fait rebondir la crise économique; les nouveaux journaux, les clubs révolutionnaires terrorisent la bourgeoisie par leurs proclamations, même si elles ne sont guère suivies par des actes. Devant l’ampleur du chômage, le gouvernement provisoire, qui ne comprend qu’une minorité socialiste, ouvre des ateliers nationaux puis, le 15 mars, augmente les impôts de 45 p. 100, ce qui mécontente la province et les paysans. Le renouvellement de l’administration des départements, où des commissaires remplacent les préfets, contribue à établir un décalage entre la province et Paris, où les forces populaires restent maîtresses de la rue, réclament des mesures sociales, manifestent le 17 mars pour faire retarder les élections qui sont reportées au 23 avril (de nouvelles manifestations le 16 avril se solderont par un échec). La province, cependant, se méfie de plus en plus des décisions ou de l’influence parisiennes; les circulaires de Ledru-Rollin (et parfois même ses commissaires) y sont mal reçues, notamment à Bordeaux, à Besançon, à Beauvais, à Troyes. Mais l’influence de Lamartine a rallié les modérés à la République et a étouffé le mouvement révolutionnaire en empêchant la réalisation de la dictature jacobine.

Les élections à l’Assemblée nationale constituante se déroulent le 23 avril au suffrage universel et par scrutin de liste; les anciens conservateurs se sont généralement effacés au profit des anciens opposants dynastiques, des légitimistes ou d’hommes nouveaux. En dépit des pressions de Ledru-Rollin, républicain radical, et de ses commissaires, les résultats sont favorables aux républicains modérés dont Lamartine a été le porte-parole (il est élu dans dix départements et arrive en tête à Paris); 84 p. 100 des électeurs ont voté; les 900 élus comptent un peu moins de 500 républicains modérés, près de 130 légitimistes ou catholiques associés à Montalembert, 170 anciens orléanistes, une centaine de radicaux ou de socialistes (surtout à Lyon et dans la Loire). Les résultats provoquent des émeutes dans deux villes, Limoges et Rouen, où les démocrates sont battus, mais la transition s’opère dans le calme; l’Assemblée constituante, réunie le 4 mai, désigne une Commission exécutive de cinq membres, qui succède au gouvernement provisoire; elle comprend à nouveau Lamartine, Arago, Garnier-Pagès, Ledru-Rollin et Marie; les socialistes avec Louis Blanc sont éliminés.

L’échec, le 15 mai, du coup de force perpétré contre la Constituante par les chefs révolutionnaires sous l’impulsion de Barbès et de Blanqui accentue les hésitations devant les projets socialistes (nationalisation des chemins de fer, impôt progressif). Les élections complémentaires du 4 juin renforcent l’évolution conservatrice (Thiers est élu) et révèlent la popularité de Louis Napoléon Bonaparte élu à Paris et dans trois départements.

Les difficultés financières du gouvernement entraînent la suppression des ateliers nationaux de Paris, ce qui provoque, du 23 au 26 juin, une grave insurrection à Paris, véritable guerre sociale. L’Assemblée supprime, le 24 juin, la Commission exécutive et la remplace par un chef du pouvoir exécutif, le général Cavaignac. La lutte est très meurtrière, des gardes nationaux de province viennent se joindre à la troupe et aux gardes mobiles pour rétablir l’ordre; l’archevêque de Paris Mgr Affre, venu sur les barricades pour s’interposer, est tué par une balle perdue.

Le gouvernement des républicains modérés

Le général Cavaignac a composé son ministère de républicains «authentiques» (on disait «républicains de la veille»), tandis que Marrast préside la Constituante. Mais une réaction profonde suivit les journées de Juin, creusant un fossé entre les républicains et les masses populaires parisiennes au profit des éléments les plus conservateurs; plus de trois mille insurgés furent emprisonnés ou transportés en Algérie ; des lois limitèrent la liberté des clubs (loi du 28 juill. 1848) et de la presse (la loi du 11 août 1848 rétablit le cautionnement), ce qui provoque la disparition du Peuple constituant de Lamennais.

Dans ce contexte, les élections municipales (fin juillet) et les élections des conseils généraux (fin août) donnent aux conservateurs une majorité d’autant plus ample que légitimistes et orléanistes se sont unis contre les républicains, pour la défense de l’ordre social; ainsi commence à s’organiser le «parti de l’Ordre», ou parti de la rue de Poitiers (du nom de son adresse à Paris), au moment où s’élabore la Constitution, qui fut adoptée le 4 novembre 1848 par 733 voix contre 42, et qui donne le pouvoir exécutif à un président de la République, élu au suffrage universel pour quatre ans, et le pouvoir législatif à une assemblée unique élue au scrutin de liste pour trois ans; le droit au travail, initialement prévu, est remplacé par le droit à l’assistance.

La campagne pour l’élection présidentielle, fixée aux 10 et 11 décembre, fait ressortir d’abord la division des républicains entre les candidatures du général Cavaignac (1 448 000 voix, 19,5 p. 100 des votants), de Ledru-Rollin (soutenu par les démocrates; 371 431 voix, 4,8 p. 100 des suffrages), de Raspail (socialiste; 36 964 voix) et de Lamartine (qui a perdu toute sa popularité et n’obtient que 17 914 voix). Le courant populaire, d’abord inorganisé, est exploité par des éléments conservateurs (le parti de l’Ordre, sur le conseil de Thiers, ne désigne pas de candidat) en faveur de Louis Napoléon Bonaparte. Le triomphe électoral de ce dernier (5,5 millions de voix, 74,2 p. 100 des votants) lui permet d’être indépendant des conservateurs, qui avaient espéré gouverner en son nom, et d’apparaître comme l’élu du peuple. «Le 10 décembre 1848 fut le jour de l’insurrection des paysans», écrivit Marx, soulignant ainsi la revanche de l’opinion inorganisée sur l’opinion organisée par les partis et la presse.

L’élimination des républicains

La victoire électorale de Louis Napoléon Bonaparte fut un désaveu implicite de la politique menée par les républicains depuis février. L’élection de l’Assemblée législative le 13 mai 1849 montre un partage de l’opinion en deux grandes tendances. Le parti de l’Ordre, regroupant les légitimistes, les orléanistes, des républicains modérés et des bonapartistes, eut 53 p. 100 des voix et un peu moins de cinq cents élus; ce fut surtout dans le Nord et dans l’Ouest qu’ils obtinrent les plus fortes majorités. Les démocrates-socialistes, dont le leader, Ledru-Rollin, fut élu dans plusieurs départements, avaient 35 p. 100 des voix et un peu plus de 180 élus; ils dominaient dans quinze départements: régions industrielles (autour de Lyon et de Saint-Étienne), régions rurales aussi comme la bordure nord du Massif central (Cher, Corrèze, Allier, Creuse). Une société, la Solidarité républicaine, de nombreux journaux comme La Révolution démocratique et sociale de Delescluze avaient organisé leur campagne.

Conservateurs et démocrates se partageaient les sièges de Paris; parmi les premiers, le général Bedeau, Victor Hugo (qui avait été l’un des premiers soutiens de Louis Napoléon), Odilon Barrot, Dufaure; parmi les seconds, Ledru-Rollin, Lagrange, Lamennais, Pierre Leroux. Un troisième groupe, les «républicains de la veille», de la tendance du National , n’eut que 12 p. 100 des voix et soixante-dix députés.

En dépit de leur succès, les conservateurs sont inquiets de celui des démocrates dans les villes, et aussi dans l’armée. Le président de la République conserve Odilon Barrot à la présidence du Conseil avec quelques nouveaux ministres (Tocqueville aux Affaires étrangères); le ministre a envoyé un corps expéditionnaire pour restaurer le pape Pie IX à Rome et renverser la république romaine de Mazzini. Ledru-Rollin proteste contre cette intervention en demandant la mise en accusation du ministère, et les députés de la gauche (la Montagne) organisent le 13 juin une manifestation de la place du Château-d’Eau au Palais-Bourbon; celle-ci est interrompue par les forces de l’ordre et tourne à l’insurrection; un groupe essaye de former un gouvernement provisoire au Conservatoire des arts et métiers. Mais le mouvement n’obtint pas l’appui populaire et fut utilisé par le gouvernement et la majorité pour liquider l’opposition démocratique; Ledru-Rollin s’enfuit à Londres; d’autres députés de la Montagne furent poursuivis et emprisonnés; l’état de siège fut proclamé à Paris et à Lyon, six journaux suspendus (dont La Réforme , La Révolution démocratique et sociale , Le Peuple ).

Ayant éliminé les radicaux et les socialistes, le président de la République est plus autonome en face du parti de l’Ordre. Celui-ci fait voter trois lois conservatrices: le 15 mars 1850, la loi Falloux assure la liberté de l’enseignement, ce qui profitera surtout à l’enseignement catholique; sous l’impulsion de Thiers, une autre loi avait précédemment établi une surveillance plus étroite sur les instituteurs suspects de propagande socialiste; le 31 mai 1850, une loi électorale ampute le suffrage universel, à la suite d’élections partielles en mars 1850 favorables aux démocrates; désormais, pour être électeur, il faut payer la taxe personnelle depuis trois ans dans la commune: près d’un tiers des électeurs sont éliminés. Enfin une loi du 16 juillet 1850 réduit la liberté de la presse.

Le conflit du président et de l’Assemblée

Louis Napoléon, depuis la crise de juin 1849, mène une politique plus personnelle. Il multiplie les voyages en province, regroupe son propre parti qui, outre les fidèles bonapartistes rassemblés autour de Persigny, comprend des libéraux restés à l’écart du parti de l’Ordre (T. Ducos, Billault), des représentants des milieux d’affaires soucieux d’efficacité (le banquier Fould, les avocats Rouher et Baroche, Morny, demi-frère du prince-président; il a ses journaux, Le Pays , Le 10-Décembre , et, à partir de janvier 1850, Le Napoléon . Le prestige napoléonien, diverses mesures (par exemple, l’augmentation de la solde des sous-officiers) et la multiplication des grandes revues favorisèrent les relations entre l’armée et celui qu’on commence à appeler le «prince Louis Napoléon».

La Société du 10-Décembre, présidée par le général Piat, apparaît comme le noyau d’un grand parti napoléonien comptant à Paris des boutiquiers, des petits rentiers et des ouvriers, elle apporte un soutien un peu trop ostensible à des manifestations en faveur du président. Une fraction importante du parti de l’Ordre suit Louis Napoléon, notamment les catholiques non légitimistes, Montalembert aussi bien que Louis Veuillot.

Le parti de l’Ordre est affaibli après le vote des lois réactionnaires qui ont mis en place un programme de défense sociale et politique; la fusion des deux branches, Bourbons et Orléans, était un préalable indispensable à toute restauration monarchique. Or la mort, le 26 août, en Angleterre, de Louis-Philippe, qui s’était convaincu de la nécessité de la fusion, n’avait pas résolu les difficultés. Des efforts sont tentés à la fois par des légitimistes (comme le duc de Noailles) et par des orléanistes comme Salvandy, Molé, le duc de Broglie, Guizot (mais celui-ci est mis de plus en plus à l’écart de la vie active). Pendant l’été 1850, Salvandy alla à Wiesbaden s’entretenir avec le comte de Chambord. Cette fusion est cependant rendue impossible d’une part à cause des oppositions de principes (une circulaire de Barthélemy du 30 août 1850, au nom du comte de Chambord, désavoue «l’appel au peuple comme impliquant la négation du grand principe national de l’hérédité monarchique»), d’autre part en raison des rivalités de personnes; la reconnaissance du comte de Chambord, petit-fils de Charles X, serait acceptée par les fils de Louis-Philippe, mais la duchesse d’Orléans, soutenue par Thiers, Jules de Lasteyrie, Charles de Rémusat et Roger du Nord, ne veut pas que son fils, le comte de Paris, s’efface. La situation est d’autant plus complexe qu’il est question de la candidature à la présidence de la République du prince de Joinville, fils de Louis-Philippe, auquel la prise de Mogador avait donné un certain prestige.

L’impossibilité de solution politique résultait des divergences au sein du parti de l’Ordre et du désaccord entre le parti et le président de la République; elle était compliquée par l’absence de solution constitutionnelle, due au fait que le mandat de Louis Napoléon ne pouvait être renouvelé en 1852 en raison de l’interdiction qu’en faisait la Constitution. En outre, la majorité issue d’un suffrage universel tronqué ne pouvait être que favorable au parti de l’Ordre.

Louis Napoléon prévint les mesures qu’annonçait ouvertement contre lui le général Changarnier, qui était à la fois commandant de l’armée de Paris et de la garde nationale et député; un discours provocant du général à la Chambre, sans l’autorisation réglementaire du ministre de la Guerre, entraîna sa destitution le 3 janvier 1851. À cette occasion, Thiers exhorta les députés à protester en déclarant: «Si l’Assemblée cède, il n’y aura plus qu’un pouvoir [...] Le mot viendra plus tard: l’Empire est fait.» L’Assemblée législative riposta par un ordre du jour de défiance voté par 415 voix contre 286; un nouveau ministère fut mis en place, mais l’Assemblée le mit aussi en minorité en refusant une augmentation de la dotation présidentielle.

La préparation du coup d’État

Le président de la République canalise à son profit la peur de la révolution. La célébration du 24 février à Voiron, à Grenoble, à Montélimar, la révélation des complots montés par des provocateurs accrédite l’idée d’une vaste conspiration démocratique pour 1852; des troubles chez les agriculteurs en octobre 1851 dans le Cher, la persistance de la crise commerciale, attribuée à l’instabilité et à l’incertitude politiques, ont regroupé une partie de la bourgeoisie autour de Louis Napoléon.

Celui-ci entreprend une importante propagande en vue d’obtenir une révision de la Constitution lui permettant d’être rééligible; une campagne de pétitions est menée dans tout le pays pour la proclamer, et Louis Napoléon, dans un discours à Dijon, le 12 juin, déclare: «Quels que soient les devoirs que le pays m’impose, il me trouvera décidé à suivre sa volonté.» Plus d’un million de signatures sont ainsi obtenues et déposées à l’Assemblée. Bien que la révision de la Constitution fût acceptée par une grande partie des légitimistes (dont Berryer et Falloux), par des orléanistes comme le duc de Broglie, et conseillée par Tocqueville, rapporteur de la commission formée sur ce sujet, il n’y eut que 446 députés pour accepter la révision contre 270, le 19 juillet; la majorité des trois quarts des voix (543), requise par la Constitution, n’étant pas acquise, l’article 45 interdisant la réégibilité fut maintenu. Louis Napoléon décide alors, en vue de déconsidérer la majorité conservatrice, de demander l’abolition de la loi électorale de 1850 qui avait amputé le suffrage universel, malgré l’opinion contraire de plusieurs ministres (Magne, général Randon). L’Assemblée s’y refusa, à sept voix de majorité seulement, le 13 novembre. Le président se présente désormais comme le «champion de la démocratie».

L’expédition de Kabylie en Algérie quelques mois plus tôt avait permis de mettre en valeur le général de Saint-Arnaud et des officiers réputés à la fois antiparlementaires et antisocialistes comme Pélissier et Bosquet. À son retour, Saint-Arnaud devint commandant de la division de Paris, puis ministre de la Guerre dans le nouveau ministère formé le 27 octobre 1851, qui comprenait, par ailleurs, Lacrosse, Fortoul, Thorigny et le marquis de Turgot, ancien pair de France.

Le coup d’État

Un message du président de la République avait dénoncé l’imminence d’un «complot»: une brochure de Romieu, Le Spectre rouge de 1852 , contribuait à l’affolement de la bourgeoisie, surtout en province. Les démocrates socialistes avaient repris leur propagande avec un succès croissant en la faisant plus locale, moins doctrinaire; ils organisaient des associations aux ramifications secrètes, mais ils évitaient toute manifestation violente en attendant mai 1852, époque prévue pour les élections législatives et présidentielles.

Louis Napoléon fixe le coup d’État au 2 décembre, anniversaire d’Austerlitz (à cette date, la rentrée parlementaire retient les députés à Paris); le président l’a préparé avec Morny, Persigny, le préfet de police Maupas, les généraux Saint-Arnaud et Magnan, commandant de l’armée de Paris. Des affiches, imprimées dans la nuit du 1er au 2 décembre, reproduisent un «appel au peuple et aux soldats» ainsi que deux décrets: l’un dissout l’Assemblée nationale, abroge la loi du 31 mai et rétablit le suffrage universel, décrète l’état de siège; l’autre appelle les Français à un plébiscite pour reconnaître l’autorité de Louis Napoléon. Au petit matin, les députés – Thiers, les généraux Changarnier, Lamoricière, Cavaignac, Leflô – ont été arrêtés. Des députés monarchistes tentent de résister à la mairie du Xe arrondissement, mise à leur disposition par le maire Augustin Cochin; les 220 députés présents avec Odilon Barrot et Berryer furent rapidement dispersés ou grossirent les effectifs de la prison de Mazas; un Comité de résistance républicain avec Schœlcher, Jules Favre, Victor Hugo s’efforça de soulever le peuple parisien; des barricades, élevées les 3 et 4 décembre, furent vite enlevées par la troupe (un député, Baudin, fut tué sur l’une d’elles) et la troupe tira le 4 décembre sur la foule qui manifestait sa désapprobation, boulevard Poissonnière. Mais il n’y eut pas de soulèvement populaire à Paris.

La résistance violente fut surtout le fait des paysans; elle s’étendit du 3 au 8 décembre au nord du Massif central, dans l’Allier, la Nièvre (notamment à Clamecy), dans quelques foyers du Sud-Ouest, à Auch et dans l’Hérault (à Bédarieux et à Béziers); mais la principale résistance se manifeste dans le Sud-Est, en Ardèche, dans la Drôme, les Basses-Alpes et le Var. À Digne et à Brignoles, des artisans et des paysans occupèrent les lieux officiels. Cette opposition fut vite réduite; 32 départements furent mis en état de siège, 27 000 arrestations opérées. Des commissions mixtes composées de représentants de l’administration préfectorale, de l’armée et du Parquet condamnèrent près de 10 000 prisonniers à la transportation, la plupart en Algérie; 239 furent envoyés aux travaux forcés à Cayenne. Le mouvement républicain était décapité pour de nombreuses années. Confondant l’effet et la cause dans sa propagande, le gouvernement fit croire qu’il avait sauvé le pays d’une «subversion socialiste» et rallia les conservateurs et le clergé à la situation nouvelle.

Un nouveau ministère avait été constitué le 4 décembre avec Morny, Saint-Arnaud, Fortoul. Le plébiscite qui, les 21 et 22 décembre, demandait pour Louis Napoléon «les pouvoirs pour établir une Constitution sur les bases proposées dans la proclamation» obtint 7 439 216 «oui» contre 646 000 «non» (surtout dans les villes) et 36 820 bulletins nuls. À Paris, où il y avait 291 000 électeurs inscrits, on enregistra 132 000 «oui» et 80 000 «non». Les abstentions furent nombreuses, surtout dans les départements légitimistes de Bretagne (Finistère, Morbihan, Ille-et-Vilaine) et du Midi (Bouches-du-Rhône, Gard, Hérault).

Dès le 14 janvier 1852, une Constitution, qui reprenait les grandes lignes de celle de l’an VIII, était préparée par Rouher et Troplong: le président reçoit «le gouvernement de la République française [...] pour 10 ans [...] avec l’initiative et la promulgation des lois».

La répression consécutive au coup d’État avait durement touché la presse; la plupart des journaux républicains disparaissent et de nouveaux décrets (17 et 25 févr., 1er et 28 mars 1852) enlèvent toute liberté à la presse, placée sous le contrôle d’un ministère de la Police, rétabli le 22 janvier 1852. Une active propagande mène campagne pour le rétablissement de l’Empire; Louis Napoléon voyage à travers la France en septembre et octobre 1852, accueilli par les cris (souvent suscités par les préfets) de «Vive l’Empereur!». À Bordeaux, il déclare, afin de rassurer les puissances étrangères: «L’Empire, c’est la paix.»

Un sénatus-consulte, approuvé par un plébiscite les 21 et 22 novembre 1852, rétablit la dignité impériale. L’Empire est officiellement restauré, mais c’est en fait le 2 décembre 1851 que la deuxième République était morte.

La deuxième République a été victime de ses contradictions autant que des difficiles mutations de la société française, peu apte à s’adapter aux situations nouvelles. L’élimination des «quarante-huitards», romantiques et inconsistants, laisse le champ libre à une génération plus positive qui approfondira sous le second Empire sa réflexion sur la démocratie par référence à l’expérience de 1848.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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